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Tatouage et discrimination
Le tatouage concerne désormais toutes les populations, en France comme en Europe. De son passé marginal, l’art corporel n‘a ainsi conservé qu’une image d’Epinal, largement relayée par les conservatismes, celle d’une pratique réservée aux voyous, aux déviants, aux désaxés. Ce cliché a la tête dure : de nombreuses personnes tatouées subissent au quotidien des discriminations, notamment à l’embauche et plus généralement auprès des institutions.
De l’évolution d’un art qui peine à être perçu comme tel
L’événement en soi paraît anachronique : en 2008, il y a cinq ans à peine, un rapport de l’Académie nationale de médecine corrélait les populations tatouées à des troubles du comportement : mauvaise intégration sociale, déviances sexuelles, usage de drogues et consommations d’alcool, appartenance à un gang, détaille l’article. Ce rapport accablant cadre mal avec les statistiques publiées l’an dernier par l’INSEE, lesquelles estiment que 10% de la population française porterait au moins un tatouage. La France, un pays de désaxés ? Plus sûrement, on voit là la persistance de mentalités obsolètes, longtemps relayées par les médias, et où pointe très clairement un jugement moral contre lequel on ne peut que s’inscrire. Si l’événement semble anodin, il conforte toutefois un lot de discriminations quotidiennes dont les tatoués sont la cible. Résultat : pour éviter d’être brocardés dans la sphère professionnelle ou publique, les tatoués doivent souvent cacher leurs tatouages ou s’en justifier continuellement.
Du tatouage dans le monde professionnel
Par sa persistance, ce cliché tend à donner aux personnes tatouées une image d’irresponsables… Soit l’incarnation même de ce qui rebute à la fois les recruteurs, les parents typiques, les institutions dans leur ensemble. À niveau égal, une personne dont les tatouages sont visibles aura ainsi 75% de chances en moins d’être recrutée pour un poste, selon une étude menée récemment, 40% de chances en moins d’obtenir un prêt auprès d’une banque. Le témoignage d’une enseignante, relayée par le Nouvel Observateur, est lui aussi édifiant : celle-ci aurait dû lutter pendant tout un trimestre pour faire taire les nombreuses plaintes des parents d’élèves centrées sur ses tatouages. Si le Code du travail est très clair en matière de discrimination au physique, la difficulté réside bien sûr dans le fait de prouver la discrimination. D’où une situation bloquée, dépendante des mentalités et de leur stagnation : en ce sens, la récente polémique créée par le communiqué du syndicat des dermatologues ne devrait pas arranger les choses.
La difficulté à se faire entendre
A contrario des appartenances ethniques, religieuses, des orientations sexuelles ou du genre, le tatouage est à juste titre considéré comme un choix. Un choix qu’il s’agit d’assumer, un état de fait que l’on ne subit pas. D’où un syndrome d’auto-censure : « j’ai décidé de me faire tatouer, j’étais au courant des difficultés qui allaient survenir, et que je ne vienne pas me plaindre ». Cette réaction est contreproductive en ce qu’elle relaye, à son tour, le discours dominant. En ne faisant pas connaître ce phénomène, la personne tatouée qui subit des discriminations semble intégrer l’idée qu’elle est irresponsable et qu’il lui revient donc de faire profil bas. Il convient plutôt de faire preuve de pédagogie, de faire valoir ses droits pour démontrer que cette marginalité supposée n’est basée que sur des idées fausses, que les tatoués ont, comme tout le monde, le pouvoir de se pourvoir en Justice ou de faire valoir leurs arguments… En un mot qu’ils sont intégrés.