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Le tatouage, enfin reconnu comme un art ?

Le stage des Beaux-Arts de Sète au complet
Une initiation réalisée dans des conditions stériles
Une peau synthétique était utilisée pour montrer les rudiments
Les jeunes ont pris connaissance de la technique avec Mayliss
Une initiation technique et une sensibilisation à l'hygiène
Beaux Arts Tattoo Sète
Le matériel des tatoueurs
Beaux Arts Tattoo Sète
Première prise en main du dermographe pour les jeunes curieux
Des visuels ont été montrés aux élèves
La séance s'est terminée par une complète introduction à l'histoire du tattoo
Une initation historique qui a passionné les jeunes élèves

Une consécration ? Non, tant le chemin semble long, encore pour une pleine reconnaissance d’un certain type de tatouage comme pratique artistique. Pourtant, la décision prise par les Beaux-Arts de Sète d’organiser un stage d’initiation autour du tatouage et de sa culture a sonné une petite révolution en ce qu’elle signe pour la première fois en France une reconnaissance institutionnelle de l’art corporel comme un art à part entière. Une belle réussite qui s’est tenue le dimanche 26 mai, chaperonnée par Mayliss, la fille de l’artiste Lukas Zpira et étudiante aux Beaux-Arts de Sète. En plein débat sut le statut des tatoueurs, c’est aussi l’occasion de revenir aux fondamentaux de l’art corporel et de faire le point sur la perception du tatouage dans la société française.

 

Le tatouage, transgression du sacré

Prenons un peu de recul. Né dans les confins de la Polynésie et, presque au même moment, en Asie du Sud-Est, le tatouage a toujours détenu une dimension mystique. On se tatouait pour marquer son appartenance à une tribu, à un groupe, ou pour communiquer avec les cieux divins. Alors qu’apposés sur les murs des grottes, les motifs et dessins de scènes quotidiennes ont très vite été considérés par les historiens contemporains comme des marques d’un art dont on a compris que les origines remontaient à la nuit des temps, le tatouage a toujours été délibérément ignoré de l’histoire de l’art. Comment comprendre cette distinction ? Pour Lukas Zpira, cela ne fait aucun doute : « L'histoire, que je ne réécrirai pas ici, a toujours donné au corps une place à part en le rattachant au divin. Les dogmes sur lesquels fut bâtie notre éducation en ont fait un temple sacré. Tout acte marque une transgression que seul osent entreprendre ceux qui ne croient plus en rien, mettant de facto la pratique dans la catégorie du socialement inacceptable. Ce n'est que de par la désacralisation récente du corps que celui-ci se fit le médium d'artistes de plus en plus nombreux, dont le talent ne peut plus être ignoré, redonnant peu à peu aux tatouages et autres pratiques corporelles la place qui leur revient de droit. »

Le peu de considération accordé aux tatoueurs et aux tatoués pendant une large partie du XX° siècle découle directement de là. Il consiste à minorer les choix esthétiques et culturels de ceux dont le corpus de valeurs ne correspond a priori pas à la norme socialement dominante. Un phénomène qui pose évidemment question à l’heure où, dix pour cents des Français avouant porter un tatouage, le regard que l’on peut porter sur cette pratique est en train de changer radicalement. Au-delà même de l’approbation que l’on peut lui accorder ou non, il s’agit de regarder l’art corporel sans préjugés, de le considérer comme ce qu’il est. Et, en dépit de la nécessaire prestation de service à laquelle se livrent les tatoueurs, force est de constater qu’un certain nombre d’entre eux réalisent de véritables œuvres d’art sur la peau de leurs clients – œuvres d’art par essence éphémères, comme la vie, et qui remettent en perspective la notion même d’art telle qu’on nous l’a transmise.

 

Une technique exigeante comme dans toute forme artistique

Comme toute forme artistique, le tatouage requiert un bagage technique dont les artistes repoussent sans arrêt les limites. La multiplication des tatoueurs et des techniques de tatouage a permis à l’art corporel de se dépasser au cours des quarante dernières années, créant de vraies écoles stylistiques distinguées tant sur des éléments visuels que sur des savoirs faires, comme ce fut le cas avec la peinture à partir du XIX° siècle. C’est précisément cette partie technique qui a intéressé la direction des Beaux-Arts de Sète, à travers le professeur de Mayliss, Sylvette Ardoino, et son directeur Philippe Saulle. Un stage destiné aux enfants et aux adolescents pour se familiariser avec la technique du tatouage et mieux connaître cette pratique puisqu’une histoire du tatouage de plus de quatre heures, depuis l’Égypte antique jusqu'à nos jours, y a été délivrée aux inscrits.

Ce choix de porter son regard sur les enfants n’est pas anodin. Il est aussi une manière de transmettre aux jeunes générations un son de cloche différent de ce qu’ils peuvent avoir l’habitude d’entendre. Lukas Zpira le précise : « Les enfants jugent avec leurs cœurs, de façon instinctive, sans passer par le prisme des a priori. Ils aiment le tatouage. Ce n'est que plus tard, souvent à travers le jugement des adultes, qu'ils perçoivent les portées sociales et culturelles qu'engendre le fait de marquer à jamais un corps devenu notre principale interface avec le monde qui nous entoure. Mayliss a toujours grandi au milieu de gens tatoués. La première personne qu'elle a vue en venant au monde c'était moi, ça ne l'a pas choqué. Elle est depuis un témoin privilégié de notre histoire, de sa logique et de ses paradoxes. Elle aime comprendre, échanger, expliquer... je ne dis pas ça sans une certaine fierté. Il n'y a pas si longtemps, certains se demandaient comment des gens comme nous pouvaient oser avoir des enfants. »

 

Et après ?  

Ce stage est un premier pas qui va dans le bon sens et la preuve que le regard porté par les gens sur le tatouage n’est pas figé. Une deuxième édition devrait d’ailleurs avoir lieu au début du mois d’octobre. C’est ainsi porteur d’espoir pour tous ceux qui souhaiteraient un jour voir leur métier considéré à la hauteur de ses ambitions ainsi que pour tous les parents tatoués qui souffrent parfois du regard ignorant des autres. Cette initiative n’est pas isolée et participe aussi à une meilleure connaissance du tatouage, de son milieu, de son histoire, en dehors des sentiers balisés par les a priori. L’objectif désormais sera de permettre plus souvent à des stages de ce type d’avoir lieu et de continuer à effectuer un travail de pédagogie que de nombreux tatoueurs ont entamé depuis plusieurs années pour mieux faire connaître leur art et valoir leurs droits.

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